Bien que j’ai pas reçu d’éducation à la mission française, ce que j’ai reçu au début des mains d’Henri Tranchard était suffisant pour écrire des articles sur la ville rouge, qui occupe une place particulière dans le cœur de certains amis francophones et aussi de certains étrangers.
Marrakech, du pionnier au retardataire : chronique d’un échec politique et technique du BHNS
Autrefois pionnière au Maroc en matière de mobilité urbaine durable, la ville de Marrakech est aujourd’hui reléguée à la traîne. Alors qu’elle fut la première à envisager et lancer un projet de Bus à Haut Niveau de Service (BHNS) dès l’époque du feu Omar El Jazouli, la ville s’est figée depuis, piégée par l’immobilisme politique, les choix technocratiques inefficaces, et les échecs répétés de ses mandataires successifs.
Un projet visionnaire devenu décor institutionnel
Le projet de BHNS, lancé symboliquement en 2017 avec une ligne Bab Doukkala–Iziki, devait poser les bases d’un réseau moderne, écologique, structurant. Il s’agissait d’un pari audacieux sur le transport collectif non polluant, couplé à une alimentation solaire locale.
Mais huit ans plus tard, le constat est accablant :
• Une seule ligne de 8 km, sous-exploitée ;
• Des stations fantômes, un seul bus électrique fonctionnel ;
• Et surtout, aucun prolongement malgré les discours, les promesses, les budgets votés.
Deux mandats de Fatima-Zahra El Mansouri : deux échecs
Mme Fatima-Zahra El Mansouri, à la tête de la commune pendant deux mandats électifs, a échoué à consolider et étendre le projet. Pire encore, son conseil communal a opté pour une approche fragmentée, où les décisions de mobilité sont délégitimées, mal coordonnées, ou simplement ignorées.
Alors que le cadre de gouvernance du transport urbain s’est professionnalisé dans d’autres métropoles, à Marrakech, la présidente et son équipe n’ont jamais su ni voulu donner au BHNS l’élan politique nécessaire. Ce manque de volonté se traduit par :
• L’absence totale de lignes de BHNS nouvelles en huit ans ;
• Aucune vision intégrée du plan de mobilité urbaine durable ;
• Des décisions d’aménagement incohérentes avec les tracés BHNS envisagés.
La SDL Marrakech Mobility : entre improvisation et incohérence
La Société de Développement Local (SDL) Marrakech Mobility, censée coordonner la modernisation du transport public, n’échappe pas non plus à la critique. Alors que sa mission est de déployer les lignes de BHNS et superviser les infrastructures, elle s’est illustrée par des choix absurdes et contradictoires, notamment :
• Le lancement de travaux sur l’avenue Mohammed V, axe non prévu pour accueillir une ligne BHNS, sans justification claire ;
• L’absence totale de coordination avec la commune sur des artères stratégiques telles que Allal El Fassi et Avenue Moulay Abdellah (ex-avenue de Safi), qui devaient accueillir les futures extensions du BHNS ;
• Le silence sur l’intégration des sites propres pour ces lignes, pourtant indispensables à leur efficacité.
On assiste ainsi à une guerre passive entre acteurs publics, où la SDL agit sans cadre directeur fort, et où la commune poursuit des travaux qui compromettent techniquement l’avenir du réseau BHNS.
Benchmarking : Casablanca, Rabat, Agadir… Marrakech dépassée
Casablanca :
Malgré les défis, la métropole économique a su combiner tramway et BHNS dans une vision cohérente. La société Casa Transport gère l’ensemble du système avec professionnalisme, et des extensions BHNS sont en cours sur des lignes structurantes.
Rabat–Salé :
La capitale a déjà une deuxième ligne BHNS opérationnelle, bien intégrée à son tramway. Le projet est piloté par l’agence de transport urbain (STRS), avec priorité aux feux, sites propres, fréquences régulières et interconnexion multimodale.
Agadir :
Dernier venu, Agadir a lancé en un seul mandat un projet de BHNS de 15,5 km avec plus de 35 bus neufs, en site propre intégral, avec stations intelligentes et mobilier urbain moderne. Le tout en intégration avec son plan de développement urbain.
Et Marrakech ?
Toujours la même ligne unique de 8 km, sans perspectives, sans dynamisme, sans calendrier. Une aberration, quand on se souvient que Marrakech a été la première à lancer ce modèle de mobilité urbaine au Maroc.
Conclusion : quand l’inaction devient une politique
Ce que révèle le cas du BHNS à Marrakech, c’est le prix du manque de volonté politique, de l’amateurisme en gestion urbaine, et d’une stratégie de communication qui masque l’inaction réelle.
Les habitants de Marrakech, ainsi que les millions de visiteurs annuels, sont aujourd’hui les otages de choix incohérents, de priorités mal définies, et d’une gouvernance à courte vue.
Il est temps d’exiger des comptes
Et de rendre à Marrakech la place de leader qu’elle n’aurait jamais dû perdre.
L’article sera publié en arabe demain.